Le tragique destin du capitaine Cook ou comment l'ignorance de l'autre peut avoir des conséquences dramatiques...

Publié le par welkom-actualites

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La destinée du capitaine Cook est le cauchemar de l'ethnographe.

Écoutons le récit qu'en firent ses compagnons de voyage :

Ce fut l'accueil le plus chaleureux jamais reçu par un voyage d'explo­ration européen dans cette partie de l'Océan : « Ancré dans 17 brasses de sable noir, lit-on dans le journal de bord d'un aspirant, au milieu d'un ombre incalculable de Canots, dans lesquels les gens chan­taient et se réjouissaient tout au long du chemin… Jamais dans sa vie de navigateur le capitaine Cook n'avait vu un si grand nombre de Polynésiens rassemblés comme cette fois dans la baie de Kealakekua. Outres les innombrables canots, des Hawaïens grimpaient à bord du Resolution et du Discovery, d'autres se massaient sur les plages ou nageaient par milliers, "comme des bancs de poissons ". Ils étaient peut-être dix mille, soit cinq fois plus que le nombre de gens qui vivaient normalement à cet endroit. Pas une arme n'était visible parmi eux, comme le remarqua le capitaine Cook. Au contraire, les canots étaient chargés de porcs, de patates douces, de fruits de l'arbre à pain, de cannes à sucre, bref, de tous les produits de l'île. Les femmes aussi semblaient particulièrement préoccupées par le désir de se lier à nos gens. Un prêtre vint à bord et drapa le capitaine Cook du tapa (étoffe d'écorce) rouge servant à décorer une image du temple, puis fit l'offrande d'un porc sacrificiel ».

Or, quelques semaines après cette cérémonie, le capitaine Cook revient et est tué par ceux-là même qui se sont prosternés devant lui :

« Quand il débarqua, les gens du peuple se dispersèrent, comme de coutume, à son arrivée, et se prosternèrent face contre terre, mais à la fin ce fut lui-même qui se trouva la face dans l'eau, atteint par l'arme d'un chef, un poignard de traite en fer; c'est sur lui que se rua une foule exultante, où chacun paraissait mettre un point d'honneur à pouvoir se targuer d’avoir joué un rôle dans cette mort ».

D'abord accueilli et fêté comme un dieu, puis tué par ceux là mêmes qui l’avaient vénéré : tel fut l'étrange destin du capitaine Cook. v2 c3 s05 ss02 02

Ce qu'il a pu concevoir, pendant un temps, comme un merveilleux sens de l'hospitalité, s'est en fait révélé comme la partie d'un rituel dont lui et son équipage ignoraient tout, ou dont ils ont commencé à soupçonner le sens lorsqu'il était déjà trop tard. C'est le caractère particulier de la relation au divin entretenue par les Polynésiens qui expliquerait cette mort soudaine et inattendue. Elle s'apparente en effet à une combinaison de soumission et d'hybris, visant un effet de transfert de Dieu aux hommes, d'une vie qu'il a seul le pouvoir d'accorder. Les hommes doivent tuer le dieu pour en bénéficier. Le dieu Lono, qu’incarna aux yeux des habitants de l'île le capitaine Cook, vient féconder la terre et ce moment exige la suspension de toute occupa­tion humaine et de conflits.

00604583-00738902_o_800_WM.jpgMais lorsque ce moment d'appropriation et de domination de la terre par Lono est passé, le roi doit consacrer de nouveau les temple du dieu guerrier et faire le tour de l’île pour ouvrir les lieux de la pêche et de l'agriculture:

« Mais, pour que le roi puisse transmettre au peuple les profits béné­fiques du passage de Lono, le dieu lui-même doit en être privé. Le dieu sera le premier sacrifié du nouvel An».

Aussi, si le capitaine Cook avait su qu'il avait mouillé au moment du retour du dieu Lono et qu'il était revenu à la fin de la période où il épouse la terre, période à laquelle on sacrifice doit succéder, il ne serait pas mort. L'ignorance ou l'incompréhension des coutumes en matière d'hospitalité et de croyance d'autrui ne semblent pas avoir provoqué de si funestes événements dans les enquêtes ethnogra­phiques contemporaines et une expérience similaire à celle du capitaine Cook dans la vie d'un ethnographe paraît improbable aujourd'hui. Elle a néanmoins pour mérite de poser clairement l'enjeu que représente pour lui l'hospitalité des personnes visitées, ses modalités, son sens et ses limites. Elle invite en effet à tout faire pour mettre fin à l'ignorance des coutumes et croyances d'autrui, afin de savoir se comporter d'une manière appropriée lors de la rencontre.

 

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Z
Quoique la conclusion ait établi un lien irrécusable avec la pratique ethnologique de nos jours, il importe de souligner, tout de même, que l'ethnologue ou l'anthropologue sont confrontés, d'une<br /> manière ou d'une autre dans la pratique quotidienne de terrain, à des situations similaires, quand bien même qu'elles seraient très différentes, au regard du contexte, d'un groupe ethnique (au sens<br /> de l'ethnicité) à un autre, qu'on peut nommer à la suite de Sahlins de "malentendu pacifique".
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